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- La légende de la nonne
- 01Venez, vous dont l'oeil étincelle,
- 02Pour entendre une histoire encor,
- 03Approchez, je vous dirai celle
- 04De Doña Padilla del Flor.
- 05Elle était d'Alanje, où s'entassent
- 06Les collines et les halliers.
- 07Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 08Cachez vos rouges tabliers.
-
- 09Il est des filles à Grenade,
- 10Il en est à Séville aussi,
- 11Qui, pour la moindre sérénade,
- 12À l'amour demandent merci;
- 13Il en est que parfois embrassent,
- 14Le soir, de hardis cavaliers.
- 15Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 16Cachez vos rouges tabliers.
-
- 17Ce n'est pas sur ce ton frivole
- 18Qu'il faut parler de Padilla,
- 19Car jamais prunelle espagnole
- 20D'un feu plus chaste ne brilla;
- 21Elle fuyait ceux qui pourchassent
- 22Les filles sous les peupliers.
- 23Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 24Cachez vos rouges tabliers.
-
- 25Elle prit le voile à Tolède,
- 26Au grand soupir des gens du lieu,
- 27Comme si, quand on n'est pas laide,
- 28On avait droit d'épouser Dieu.
- 29Peu s'en fallut que ne pleurassent
- 30Les soudards et les écoliers.
- 31Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 32Cachez vos rouges tabliers.
-
- 33Or, la belle à peine cloîtrée,
- 34Amour en son coeur s'installa.
- 35Un fier brigand de la contrée
- 36Vint alors et dit : "Me voilà !"
- 37Quelquefois les brigands surpassent
- 38En audace les chevaliers.
- 39Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 40Cachez vos rouges tabliers.
-
- 41Il était laid: les traits austères,
- 42La main plus rude que le gant ;
- 43Mais l'amour a bien des mystères,
- 44Et la nonne aima le brigand.
- 45On voit des biches qui remplacent
- 46Leurs beaux cerfs par des sangliers.
- 47Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 48Cachez vos rouges tabliers.
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- 49La nonne osa, dit la chronique,
- 50Au brigand par l'enfer conduit,
- 51Aux pieds de Sainte Véronique
- 52Donner un rendez-vous la nuit,
- 53À l'heure où les corbeaux croassent,
- 54Volant dans l'ombre par milliers.
- 55Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 56Cachez vos rouges tabliers.
-
- 57Or quand, dans la nef descendue,
- 58La nonne appela le bandit,
- 59Au lieu de la voix attendue,
- 60C'est la foudre qui répondit.
- 61Dieu voulut que ses coups frappassent
- 62Les amants par Satan liés.
- 63Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 64Cachez vos rouges tabliers.
-
- 65Cette histoire de la novice,
- 66Saint Ildefonse, abbé, voulut
- 67Qu'afin de préserver du vice
- 68Les vierges qui font leur salut,
- 69Les prieures la racontassent
- 70Dans tous les couvents réguliers.
- 71Enfants, voici des boeufs qui passent,
- 72Cachez vos rouges tabliers.
Victor Hugo
<<(1955 - Chanson pour l'auvergnat, 5)>>
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