Source d'inspiration GB ne s'est jamais caché d'avoir puisé le thème de certaines de ses chansons à partir d'oeuvres littéraires préexistantes (cf. La fille à cent sous, d'après un conte de Maupassant). Aussi, on peut réellement se demander, à l'écoute de cette chanson, s'il ne s'est pas inspiré d'une nouvelle de Dino Buzzati, intitulée "Chasseurs de vieux", extraite du recueil Le K, tant les similarités sont frappantes...
Ça ira ! Ah ça ira, ça ira, ça ira !
Les aristocrates à la lanterne !
Refrain de la Carmagnole, chanson révolutionnaire de 1792, (interdite par Bonaparte en 1799).
Ça ira ! La Carmagnole a été la chanson la plus populaire de la Révolution Française. Elle date de 1792, au moment où l'Assemblée vote la convocation de la Convention et l'emprisonnement du roi.
Mais depuis, elle a reparu à toutes les périodes révolutionnaires du XIXème siècle, en 1830 et 1871, avec de nouveaux couplets à chaque fois. Le Ça Ira est à l'origine une chanson bien distincte mais qu'on a l'habitude de chanter comme refrain de la Carmagnole.
(Précision trouvée sur le site Le Drapeau Rouge)
Folle sarabande GB prend ici le mot dans son acception moderne, telle qu'évoquée par "La Danse" de Matisse, par exemple. Mais jusqu'au XVIIIe s., la Sarabande était une danse très lente. Pour évoquer une cavalcade, on lui adjoint donc souvent les épithètes "effrénée" ou "folle" qui soulignent et justifient le paradoxe.
Folle sarabande Tout ce couplet évoque les "monômes" d'étudiants, immenses chahuts et farandoles qui se déroulaient dans la rue, souvent juste après les examens. Dans les années 50, le "Monôme du Bac" défrayait encore la chronique chaque année, à Paris et ailleurs.
Fécondé leurs filles Certains défendent l'idée que la seule vraie révolution de Mai 68 fut sexuelle. Il est certain qu'en période de troubles, un des premiers tabous à sauter est celui-là.
Tempête dans la mare de leur canards Allusion à la "tempête dans un verre d'eau", ici "dans une mare de canards" (symbole de la paix saturée comme le pavé est le symbole de la révolte) ; on retrouve l'expression dans la Tempête dans un bénitier dans un sens proche : même si l'outre est nouvelle, il y a un vieux vin là-dedans...
Complément Le pavé n'était-il pas le titre d'un des journaux ("canards") de mai '68 ? Il pourrait y avoir en arrière-plan l'idée que cette "révolution" n'était guère faite que de mots dans d'éphémères brûlots.
Pavés Pavés, credos et tabous lapidés, l'évocation de Mai 68 est transparente. Mais c'est aussi (et c'est la morale de la chanson) le fait de la jeunesse à toutes les générations. Voir le dernier couplet.
Métamorphose Voilà des "rebelles", des "chevelus, poètes" comme dirait Richepin (cf. "Philistins, épiciers...", mis en musique par GB) qui, le temps émoussant bien des choses, sont à leur tour victimes des "cadets" ! Je fais un parallèle thématique avec "les bourgeois" de Brel : "le coeur au repos, les yeux bien sur terre..."
La Saint Martin La Saint-Martin signifie les quelques jours d'été tardif, autour du 11 novembre (St Martin). Cette expression que, je crois, Brassens appréciait et plaçait en position de force dans ses vers, se trouve aussi dans Saturne, où elle est alors connotée beaucoup plus positivement qu'ici, afin de marquer la beauté poétique de la vieillesse de son amante.
Ferrat Ce même thème est joliment abordé par Jean Ferrat dans "l'été de la St-Martin". Jean Ferrat qui, peut-être dans le même album, a écrit un joli "à Brassens" : est-ce un reflet de ta moustache
ou bien tes cris de mort aux vaches
qui les séduit ?
(...)
alors qu'avec tes pâquerettes
tendres à mon coeur, fraîches à ma tête
jusqu'au trépas,
si je ne suis qu'un mauvais drôle
tu joues toujours pour moi le rôle
de l'Auvergnat
St Martin - Cerises C'est à dire l'automne n'est pas loin du début de l'été, c'est à dire la vieillesse succède à la jeunesse plus vite qu'on ne croit.
Temps des cerises "Le temps des cerises" est aussi un chant emblème de la commune de Paris, (une révolte populaire de 1870 réprimée dans le sang, et symbole de la lutte révolutionnaire).
Bicêtre Village de France, commune de Kremlin-Bicêtres (Seine), au dessus de la Bièvre, où il existe un magnifique hospice por les vieillards et les aliénés; environ 5000h. L'édifice fut construit par Louis XIII en 1632.
Changement de perspective Jusqu'ici, Brassens emploie la première personne du pluriel, "nous". Dans ce dernier couplet, pourtant, il s'agit de la troisième personne, "ils". Par ce procédé de déplacement, il s'est exclu du groupe des railleurs d'hier qui sont devenus les conformistes du jour.
Sépulcres blanchis Invective lancée par le Christ, qui parfois n'y allait pas de main morte, contre les Pharisiens, parti d'intégristes juifs de son époque, confits dans leurs certitudes théologiques et leur hypocrisie. (Cf. Matthieu XXIII 27: Malheur à vous, qui ressemblez à des sépulcres blanchis : au dehors ils ont belle apparence, mais au dedans ils sont pleins d'ossements morts et de toute pourriture.)
La métaphore s'applique ici d'autant mieux qu'à l'origine les Pharisiens avaient été un parti de résistance contre Antiochus Epiphane et l'hellénisation d'Israël.