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Partir un an : les aventures dessinéssinées de Chérie et Chéri
Georges Brassens, Supplique pour être enterré à la plage de Sète
Le fantôme
01C'était tremblant, c'était troublant,
02C'était vêtu d'un drap tout blanc,
03Ça présentait tous les symptômes,
04Tous les dehors de la vision,
05Les faux airs de l'apparition,
06En un mot, c'était un fantôme !
 
07À sa manière d'avancer,
08À sa façon de balancer
09Des hanches quelque peu convexes,
10Je compris que j'avais affaire
11À quelqu'un du genr' que j'préfère
12À un fantôme du beau sexe.
 
13"Je suis un p'tit Poucet perdu,
14Me dit-ell', d'un' voix morfondue,
15Un pauvre fantôme en déroute.
16Plus de trace des feux follets,
17Plus de trace des osselets
18Dont j'avais jalonné ma route !
 
19"Des poèt's sans inspiration
20Auront pris - quelle aberration -
21Mes feux follets pour des étoiles.
22De pauvres chiens de commissaire
23Auront croqué - quelle misère ! -
24Mes oss'lets bien garnis de moelle.
 
25"À l'heure où le coq chantera,
26J’aurai bonn' mine avec mon drap
27Plein de faux plis et de coutures !
28Et dans ce siècle profane où
29Les gens ne croient plus guère à nous,
30On va crier à l'imposture. "
 
31Moi, qu'un chat perdu fait pleurer,
32Pensez si j'eus le cœur serré
33Devant l'embarras du fantôme.
34"Venez, dis-je en prenant sa main,
35Que je vous montre le chemin,
36Que je vous reconduise at home."
 
37L'histoire finirait ici
38Mais la brise, et je l'en r'mercie,
39Troussa le drap de ma cavalière...
40Dame, il manquait quelques oss'lets,
41Mais le reste, loin d'être laid,
42Était d'un' grâce singulière.
 
43Mon Cupidon, qui avait la
44Flèche facile en ce temps-là,
45Fit mouche et, le feu sur les tempes,
46Je conviai, sournoisement,
47La belle à venir un moment
48Voir mes icônes, mes estampes...
 
49"Mon cher, dit-elle, vous êtes fou !
50J'ai deux mille ans de plus que vous...
51— Le temps, madam', que nous importe !"
52Mettant le fantôm' sous mon bras,
53Bien enveloppé dans son drap,
54Vers mes pénates je l'emporte !
 
55Eh bien, messieurs, qu'on se le dise :
56Ces belles dames de jadis
57Sont de satanées polissonnes,
58Plus expertes dans le déduit
59Que certain's dames d'aujourd'hui,
60Et je ne veux nommer personne !
 
61Au p'tit jour on m'a réveillé,
62On secouait mon oreiller
63Avec un' fougu' plein' de promesses.
64Mais, foin des délic's de Capoue !
65C'était mon père criant : "Debout !
66Vains dieux, tu vas manquer la messe !"
 
67Mais, foin des délic's de Capoue !
68C'était mon père criant : "Debout !
69Vains dieux, tu vas manquer la messe !"

Georges Brassens