ANALYSE BRASSENS présente un site ami :
Partir un an : les aventures dessinéssinées de Chérie et Chéri
Georges Brassens, Hors album
L'andropause
01Aux quatre coins de France, émanant je suppose
02De maris rancuniers par la haine conduits,
03Le bruit court que j'atteins l'heure de l'andropause,
04Qu'il ne faut plus compter sur moi dans le déduit.
 
05Ô n'insultez jamais une verge qui tombe !
06Ce n'est pas leur principe, ils crient sur tous les tons
07Que l'une de mes deux est déjà dans la tombe
08Et que l'autre à son tour file un mauvais coton.
 
09Tous ces empanachés bêtement se figurent
10Qu'un membr' de ma famille est à jamais perclus,
11Que le fameux cochon, le pourceau d'Épicure
12Qui sommeillait en moi ne s'éveillera plus.
 
13Ils me croient interdit de séjour à Cythère,
14Et, par les nuits sans lune avec jubilation,
15Ils gravent sur mon mur en style lapidaire
16"Ici loge un vieux bouc qui n'a plus d'érections" !
 
17Ils sont prématurés, tous ces cris de victoire,
18Ô vous qui me plantez la corne dans le dos,
19Sachez que vous avez vendu les génitoires,
20Révérence parler, de l'ours un peu trop tôt.
 
21Je n'ai pas pour autant besoin de mandragore,
22Et vos femmes, messieurs, qu' ces jours-ci j'ai reçues,
23Que pas plus, tard qu'hier je contentais encore,
24Si j' n'ai plus d'érections, s'en fussent aperçues.
 
25À l'hôpital Saint-Louis, l'autre jour, ma parole,
26Le carabin m'a dit : "On ne peut s'y tromper,
27En un mot comme en cent, monsieur, c'est la vérole."
28Si j' n'ai plus d'érections, comment l'ai-je attrapée ?
 
29Mon plus proche voisin n'aim' que sa légitime,
30Laquelle, épous' modèle, n'a que moi pour amant.
31Or tous deux d' la vérole, ils sont tombés victimes.
32Si j' n'ai plus d'érections, expliquez-moi comment ?
 
33Mes copains, mon bassiste et tous ceux de la troupe
34En souffrirent bientôt, nul n'en fut préservé.
35Or je fus le premier à l'avoir dans le groupe.
36Si j' n'ai plus d'érections, comment est-ce arrivé ?
 
37Minotaures méchants, croyez-vous donc qu'à braire
38Que mon train de plaisir arrive au terminus,
39Vous me cassiez mes coups ? Au contraire, au contraire,
40Je n'ai jamais autant sacrifié à Vénus !
 
41Tenant à s'assurer si ces bruits qu'on colporte,
42Ces potins alarmants sont ou sont pas fondés,
43Ces dames nuit et jour font la queue à ma porte,
44Poussées par le démon de la curiosité.
 
45Et jamais, non jamais, soit dit sans arrogance,
46Mon commerce charnel ne fut plus florissant.
47Et vous, pauvres de vous, par voie de conséquence
48Vous ne fûtes jamais plus cocus qu'à présent.
 
49Certes, elle sonnera cette heure fatidique,
50Où perdant toutes mes facultés génétiques
51Je serai sans émoi,
52Où le septième ciel - ma plus chère ballade,
53Ma plus douce grimpette et plus tendre escalade -
54Sera trop haut pour moi.
 
55Il n'y aura pas de pleurs dans les gentilhommières,
56Ni de grincements de fesses dans les chaumières,
57Faut pas que je me leurre.
58Peu de chances qu'on voie mes belles odalisques
59Déposer en grand deuil au pied de l'obélisque
60Quelques gerbes de fleurs.
 
61Tout au plus gentiment diront-elles : "Peuchère,
62Le vieux Priape est mort", et, la cuisse légère,
63Le regard alangui,
64Elles s'en iront vous rouler dans la farine
65De safran, tempérer leur fureur utérine
66Avec n'importe qui.
 
67Et vous regretterez les manières civiles
68De votre ancien rival, qui dans son baise-en-ville,
69Apportait sa guitare,
70Et faisait voltiger en gratouillant les cordes
71Des notes de musique à l'entour de vos cornes,
72Mais il sera trop tard !

Georges Brassens