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- Le Grand Pan
- 01Du temps que régnait le grand Pan,
- 02Les dieux protégaient les ivrognes :
- 03Un tas de génies titubants
- 04Au nez rouge, à la rouge trogne.
- 05Dès qu'un homme vidait les cruchons,
- 06Qu'un sac à vin faisait carousse,
- 07Ils venaient en bande à ses trousses
- 08Compter les bouchons.
- 09La plus humble piquette était alors bénie,
- 10Distillée par Noé, Silène, et compagnie,
- 11Le vin donnait un lustre au pire des minus,
- 12Et le moindre pochard avait tout de Bacchus.
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- 13Mais se touchant le crâne, en criant "J'ai trouvé !"
- 14La bande au professeur Nimbus est arrivée
- 15Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
- 16Chasser les dieux du firmament.
- 17Aujourd'hui, çà et là, les gens boivent encore,
- 18Et le feu du nectar fait toujours luire les trognes,
- 19Mais les dieux ne répondent plus pour les ivrognes :
- 20Bacchus est alcoolique, et le grand Pan est mort.
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- 21Quand deux imbéciles heureux
- 22S'amusaient à des bagatelles,
- 23Un tas de génies amoureux
- 24Venaient leur tenir la chandelle.
- 25Du fin fond des Champs Élysées
- 26Dès qu'ils entendaient un "Je t'aime",
- 27Ils accouraient à l'instant même
- 28Compter les baisers.
- 29La plus humble amourette
- 30Était alors bénie
- 31Sacrée par Aphrodite, Éros, et compagnie,
- 32L'amour donnait un lustre au pire des minus,
- 33Et la moindre amoureuse avait tout de Vénus.
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- 34Mais se touchant le crâne, en criant "J'ai trouvé !"
- 35La bande au professeur Nimbus est arrivée
- 36Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
- 37Chasser les dieux du firmament.
- 38Aujourd'hui ça et là, les coeurs battent encore,
- 39Et la règle du jeu de l'amour est la même,
- 40Mais les dieux ne répondent plus de ceux qui s'aiment :
- 41Vénus s'est faite femme, et le grand Pan est mort.
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- 42Et quand, fatale, sonnait l'heure
- 43De prendre un linceul pour costume,
- 44Un tas de génies, l'oeil en pleur,
- 45Vous offraient des honneurs posthumes.
- 46Pour aller au céleste empire,
- 47Dans leur barque ils venaient vous prendre,
- 48C'était presque un plaisir de rendre
- 49Le dernier soupir.
- 50La plus humble dépouille était alors bénie,
- 51Embarquée par Caron, Pluton et compagnie,
- 52Au pire des minus, l'âme était accordée,
- 53Et le moindre mortel avait l'éternité.
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- 54Mais se touchant le crâne, en criant "j'ai trouvé"
- 55La bande au professeur Nimbus est arrivée
- 56Qui s'est mise à frapper les cieux d'alignement,
- 57Chasser les dieux du firmament.
- 58Aujourd'hui ça et là, les gens passent encor,
- 59Mais la tombe est, hélas! la dernière demeure,
- 60Les dieux ne répondent plus de ceux qui meurent :
- 61La mort est naturelle, et le grand Pan est mort.
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- 62Et l'un des dernier dieux, l'un des derniers suprêmes,
- 63Ne doit plus se sentir tellement bien lui-même.
- 64Un beau jour on va voir le Christ
- 65Descendre du Calvaire en disant dans sa lippe :
- 66"Merde! Je ne joue plus pour tous ces pauvres types !"
- 67J'ai bien peur que la fin du monde soit bien triste.
Georges Brassens
<<(1964 - Les copains d'abord, 11)>>
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