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- La rose, la bouteille et la poignée de main
- 01Cette rose avait glissé de
- 02La gerbe qu'un héros gâteux
- 03Portait au monument aux Morts.
- 04Comme tous les gens levaient leurs
- 05Yeux pour voir hisser les couleurs,
- 06Je la recueillis sans remords.
-
- 07Et je repris ma route et m'en allai quérir,
- 08Au p'tit bonheur la chance, un corsage à fleurir.
- 09Car c'est une des pir's perversions qui soient
- 10Que de garder une rose par-devers soi.
-
- 11La première à qui je l'offris
- 12Tourna la tête avec mépris,
- 13La deuxième s'enfuit et court
- 14Encore en criant "Au secours !"
- 15Si la troisième m'a donné
- 16Un coup d'ombrelle sur le nez,
- 17La quatrième, c'est plus méchant,
- 18Se mit en quête d'un agent.
-
- 19Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
- 20Sans être louche, on ne peut pas
- 21Fleurir de belles inconnues.
- 22On est tombé bien bas, bien bas...
-
- 23Et ce pauvre petit bouton
- 24De rose a fleuri le veston
- 25D'un vague chien de commissaire,
- 26Quelle misère!
-
- 27Cette bouteille était tombée
- 28De la soutane d'un abbé
- 29Sortant de la messe ivre mort.
- 30Une bouteille de vin fin
- 31Millésimé, béni, divin,
- 32Je la recueillis sans remords.
-
- 33Et je repris ma route en cherchant, plein d'espoir,
- 34Un brave gosier sec pour m'aider à la boire.
- 35Car c'est une des pir's perversions qui soient
- 36Que de garder du vin béni par-devers soi.
-
- 37Le premier refusa mon verre
- 38En me lorgnant d'un oeil sévère,
- 39Le deuxième m'a dit, railleur,
- 40De m'en aller cuver ailleurs.
- 41Si le troisième, sans retard,
- 42Au nez m'a jeté le nectar,
- 43Le quatrième, c'est plus méchant,
- 44Se mit en quête d'un agent.
-
- 45Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
- 46Sans être louche, on ne peut pas
- 47Trinquer avec des inconnus.
- 48On est tombé bien bas, bien bas...
-
- 49Avec la bouteill' de vin fin
- 50Millésimé, béni, divin,
- 51Les flics se sont rincé la dalle,
- 52Un vrai scandale !
-
- 53Cette pauvre poignée de main
- 54Gisait, oubliée, en chemin,
- 55Par deux amis fâchés à mort.
- 56Quelque peu décontenancée,
- 57Elle était là, dans le fossé.
- 58Je la recueillis sans remords.
-
- 59Et je repris ma route avec l'intention
- 60De faire circuler la virile effusion,
- 61Car c'est une des pir's perversions qui soient
- 62Qu' de garder un' poignée de main par-devers soi.
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- 63Le premier m'a dit: "Fous le camp !
- 64J’aurais peur de salir mes gants."
- 65Le deuxième, d'un air dévot,
- 66Me donna cent sous, d'ailleurs faux.
- 67Si le troisième, ours mal léché,
- 68Dans ma main tendue a craché,
- 69Le quatrième, c'est plus méchant,
- 70Se mit en quête d'un agent.
-
- 71Car, aujourd'hui, c'est saugrenu,
- 72Sans être louche, on ne peut pas
- 73Serrer la main des inconnus.
- 74On est tombé bien bas, bien bas...
-
- 75Et la pauvre poignée de main,
- 76Victime d'un sort inhumain,
- 77Alla terminer sa carrière
- 78À la fourrière !
Georges Brassens
<<(1969 - La religieuse, 8)>>
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